Réponse au briquet médiatique: l’existence des Métis de l’Est

Michel Bouchard, Ph.D.
Professeur
Département d’anthropologie
University of Northern British Columbia

Sébastien Malette, Ph.D.
Professeur associé
Département de droit et d’études légales
Carleton University

Siomonn Pulla, PhD.
Professeur associé
Département d’études interdisciplinaires
Royal Roads University

Parmi les livres bannis par la Conseil scolaire catholique Providence, dont certains furent brûlés, se trouve un ouvrage de Michel Noël. Il fut l’auteur d’ouvrages importants, dont un livre pour enfants. M. Noël était un Métis de l’Outaouais et rédigea une préface pour notre livre Les Bois-Brûlés de l’Outaouais (2019), qui s’est mérité le Prix du Canada 2020. Dans les mots de M. Noël : « Mes ancêtres métis ne sont pas des fantômes, des abstractions. Ils ont existé en chair, en os, et en actions. Ils ont à la sueur de leur front formé une nation qui perdure » (Bouchard, M. et al. Les Bois-Brûlés, PUL, XVIII). Le cri du cœur de M. Noël fait écho au vécu difficile des Métis de l’Est du Canada. Le rapport de la Commission Royale sur les Peuples autochtones décrit en effet les « autres Métis » (dont ceux du Québec et des Maritimes) comme « une minorité au sein d’une minorité au sein d’une minorité », ajoutant que peu « de Canadiens courent davantage le risque de l’isolement et de l’aliénation en vertu de leur origine ethnique que les autres Métis » (Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, 1997, v. 4, 376).

Nonobstant cette affirmation, le Métis National Council (MNC), une organisation de l’Ouest créée au lendemain du rapatriement de la Constitution, continue d’affirmer que les « autres Métis » n’existent pas. La MNC fait la promotion d’un récit ethno-nationaliste aux accents monologiques et idéologisés. Au fil des années, les arguments niant l’existence des Métis de l’Est se sont incrustés dans les milieux académiques. Certains affirment que les « autres Métis » n’ont pas connu une maturité sociétale suffisante pour être les dépositaires d’une identité autochtone. D’autres ridiculisent le trop peu de sang « indien » des Métis de l’Est, alors que les liens ancestraux des Métis de l’Ouest n’ont rien de bien différent. D’autres demandent aux Métis de l’Est la démonstration de connexions communautaires.

Pareilles démonstrations demeurent cependant difficiles. Rappelons que les Métis furent exclus de la loi sur les Indiens et interdits de séjour sur les réserves, y compris au Québec. Avec l’exception de l’Alberta, les gouvernements ne permirent pas l’instauration de communautés métisses qui auraient été protégées en fonction de leur identité propre. Au Québec, le refus du gouvernement au Père Nédélec qui demande en 1896 l’inclusion des Métis de la région à la réserve de Témiscamingue illustre ce fait. Les Métis de l’Est émergent ainsi comme une population diasporique, fragmentée et dispersée, à qui l’on refuse toute assise collective. Cette réalité est d’ailleurs attestée par le chef métis Louis Riel dans une lettre du 6 juillet 1885 dans laquelle il déclare : « dans les provinces canadiennes de l’Est, beaucoup de Métis y vivent méprisés sous le costume indien. Leurs villages sont des villages d’indigence. Leur titre indien au sol est pourtant aussi bon que le titre indien des Métis du Manitoba » (Stanley et al., Les Écrits Complets de Louis Riel, v. 3, Alberta U Press : 121). Manifestement, les Métis des provinces de l’Est possèdent un vécu qui mérite considération.

Or, au lendemain de cet épisode de livres bannis, dont celui de M. Noël, la chroniqueuse Émilie Nicolas croit devoir remettre les pendules à l’heure (« Êtes-vous Métis ? », Le Devoir, 9 septembre 2021).

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Selon elle, seule la nation métisse de l’Ouest mérite une identité autochtone métisse. Si vous vous pensez Métis dans l’Est du Canada, vous souffrez selon Madame Nicolas d’une illusion. Émilie Nicolas reprend ainsi à son compte le négationnisme véhiculé par le MNC, faisant la promotion d’une idéologie qui refuse la diversité culturelle métisse sous le couvert d’un nationalisme réactionnaire. La diversité des identités métisses est pourtant documentée par plusieurs recherches universitaires et reconnue par la Cour suprême du Canada. Par exemple, l’arrêt Powley (2003) reconnaît l’existence de Métis en Ontario sans liens avec la Rivière-Rouge (au Manitoba), et l’arrêt Daniels (2016) souligne Obiter dicta l’existence de Métis dans l’Est du Canada.

Dans sa chronique, Madame Nicolas se permet même d’aller plus loin : elle déclare qu’au-delà de trois générations, les Autochtones non-inscrits n’en sont plus. Cette limitation générationnelle et sa logique assimilatrice sont pourtant réfutées par l’arrêt Boucher (2021 NBCA 36) qui reconnaît à un Autochtone non-inscrit des droits en fonction de la section 35, et dont l’ancêtre autochtone rapporté remonte pourtant à 1763. Nous comprenons qu’il peut être difficile pour Madame Nicolas de se tenir informée des dernières causes juridiques. Mais cette ignorance ne peut cautionner une posture négationniste à l’endroit des Autochtones non-statués et des Métis de l’Est.

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Ce type d’argument assimilationniste rejoint la rhétorique que l’on retrouve dans les travaux du sociologue Darryl Leroux, qui accusent les Métis de l’Est du Canada d’être des opportunistes (ou des “race-shifters”). Selon ce dernier, ceux-ci s’inventent une identité autochtone afin de remplacer les “vrais” Autochtones. De fait, ce jugement négatif à l’endroit des Métis du Québec s’observe derechef dans le choix du titre de l’article de Laurence Niosi qui fit la promotion des travaux du professeur Leroux pour le compte de Radio-Canada en 2019, qualifiant ni plus ni moins de “mythe” l’existence des Métis québécois. Paradoxalement, on demande ici aux Métis de l’Est de prouver l’existence de liens ancestraux qualifiés d’autochtones, mais aussitôt que cette preuve est examinée l’on réduit alors l’ensemble de leur identité à ce fait unique, tout en ridiculisant la mémoire culturelle des Métis québécois à trop peu, trop loins, à une absence de liens communautaires suffisant, voire à de la fraude identitaire.

Cette absence de recul critique au sujet de l’histoire et de la culture des Métis de l’Est du Canada est tristement le produit d’un discours trop souvent idéologique, aux accents populistes et truffé de sophismes génétiques, doublé d’une prétention à la vertu et au sermon identitaire que nous souhaitons éviter. Ce type de discours rend en effet la nuance d’autant plus difficile à saisir, en plus d’attiser la méfiance à l’endroit des Métis du Québec.

Le risque d’un second sinistre est dès lors bien réel : évitons de mettre le feu à l’identité et l’histoire des Métis de l’Est du Canada.

 

Ce n’est pas la première fois que les Métis se font accusés de s’inventer une ethnicité au Québec.